Médicaments de la rue : Enquête sur le circuit d’approvisionnement à Douala

Incursion dans ce qui constitue un véritable « marché noir » au marché central de la capitale économique du pays.

Les plates-formes commerciales des « médicaments de la rue » les plus importantes de Douala sont le marché central, marché de Ndokoti, marché Mbopi, marché de New-Déido, marché Dakar… Au lieu-dit gazon au marché central en particulier, c’est la chasse aux clients. Les commerçants assis sous leur parasol ou à quelques mètres de leur bureau, interpellent tout passant qui semble s’intéresser ou non à ces produits médicamenteux. Toutefois, le constat est clair. Ces produits sont très prisés par les malades, pourtant, leur commercialisation est prohibée par les pouvoirs publics, qui les perçoivent comme des médicaments falsifiés.

En immersion le jeudi 08 juin 2023, le reporter intègre cet univers où l’omerta est la règle. Il y rencontre une source qu’on va nommer Jean pour protéger son identité. Ce dernier est commerçant de médicaments dans ce marché depuis plus de 20 ans reste toujours sceptique et vigilant face aux nouvelles personnes qui désirent intégrer le business. « Cette activité n’est pas aussi simple que ça en a l’air. Nous sommes conscients que nous allons à l’encontre des mesures prescrites par le gouvernement. On doit donc être très méfiant et vigilant ». Mis en confiance, ce dernier préconise le parrainage au reporter pour débuter l’aventure ici considéré comme une jungle. « Pour un début il faut accepter se faire accompagner par un ancien. » En d’autres termes le novice dans la vente des médicaments en route doit établir une liste des médicaments dont il a besoin et le rendre à son parrain qui va se ravitailler pour lui en échange de quelques commissions. Généralement moi je fais une augmentation de 100f- 200f sur chaque produit que je fournis. », confie Jean.

La source révèle qu’il est impératif pour chaque commerçant (qu’il soit au marché ou non) d’intégrer l’association « Solidarité » qui a pour but d’alerter les membres en cas d’un contrôle sur le terrain. Cette association fixe à 1000 francs minimum la contribution mensuelle. L’argent collecté est utilisé pour monnayer les contrôleurs. « Ils préfèrent percevoir la prébende et laisser faire », confie, Rodrigue, un autre commerçant du coin.

Ce dernier renseigne que tous ces revendeurs présents sur la route s’approvisionnent au lieu-dit « marché de pomme », un secteur du marché central à quelques mètres de distance du lycée bilingue de Newbell. Il s’agit d’un bâtiment de plus de 300 boutiques situées en face de l’entrée de la délégation régionale du ministère de l’administration territorial et de la décentralisation allant vers le commissariat 6è. Ici c’est également la chasse aux nouveaux clients. Autrefois selon les fournisseurs rencontrés, cet endroit était strictement réservé aux revendeurs de la route. Malheureusement les réalités ont changé. « Avec les temps difficiles nous sommes obligés de discuter avec ces revendeurs le même client », confie Marcel, un autre fournisseur.

Le trafic des médicaments falsifiés

À l’échelle de Douala, une importante part de produits pharmaceutiques disponibles Incursion dans ce qui constitue un véritable « marché noir » au marché central de la capitale économique du pays. • Par Par Charles Totchum (stg) sur le marché provient du Nigéria. Dans l’anonymat, plusieurs fournisseurs de « médicaments de la rue », avouent se ravitailler au Nigeria du fait des coûts réduits de transport. « Il est plus facile et moins couteux, de faire venir les cargaisons du Nigéria. Il suffit de les mettre dans les caisses et bien les ranger derrière les camionnettes. » D’autres, cependant, s’associent pour faire entrer les produits au Cameroun venant de l’Asie. « Personnellement j’estime qu’en Asie, les médicaments sont d’une meilleure qualité et plus moins chers. Les plus couteux sont les frais de transport et de dédouanement ». La troisième catégorie de fournisseurs, sont ceux qui reproduisent les médicaments de pharmacie dans leur laboratoire. « Les échantillons de médicaments gratuits, que les délégués médicaux remettent, ou sont censés remettre aux médecins, sont multipliés et commercialisés dans ce Marché ».

Toujours est-il, dans cet espace commercial, il est rare qu’un client ne trouve pas son compte. Les circuits d’approvisionnement sont variés. Nous apprenons d’un fidèle client que plusieurs médicaments se retrouvent facilement ici au marché qu’en pharmacie. Alors que le combat s’accentue, les points de vente se multiplient plutôt ; la force de résistance de cette activité, reste et demeure le système de vente et les sources d’approvisionnement. Les produits exposés ne sont généralement que le tiers de la marchandise totale. « Lorsqu’un client veut un médicament que nous n’avons pas sur place, nous allons le chercher au magasin » affirme Rodrigue, commerçant. Selon Nana Franck, le Président du Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens du Cameroun (CNOPC), le circuit illicite pèse plus de 25 % du marché du médicament national. Tandis que 40 % des médicaments de la rue proviennent de la contrebande.

Le médicament de la rue est un fléau au Cameroun

Face à ce phénomène devenu très récurant, Dr Manaouda Malachie, ministre de la Santé publique au Cameroun a lancé pour la première fois, la traque aux vendeurs des médicaments de la rue dans un communiqué signé et rendu public le 10 juillet 2019. Ce dernier attirait l’attention des acteurs de ce commerce illicite sur les poursuites judiciaires, conformément à la législation en vigueur au Cameroun. Notamment la loi du 10 août 1990, en particulier dans son article 53 : « Tout délit, étalage ou distribution des médicaments est interdit sur la voie publique, dans les foires et les marchés à toute personne même titulaire du diplôme de pharmacien ». À Douala, la lutte contre le trafic des médicaments est plus accentuée au niveau de la Douane (ministère des Finances) à travers l’opération Halcomi. Dans un Communiqué de presse du ministre de la Santé publique du 21 octobre 2021, au mois de juin 2020, 40 cartons contenant chacun 300 paquets de faux comprimés de Paracétamol et d’Aspirine ont été saisis à Douala.

Les médicaments vendus dans de telles conditions, qu’ils soient authentiques ou falsifiés, connaitront à coup sûr une altération de leur qualité. La lumière du soleil, la température, l’humidité et l’air ne font l’objet d’aucune surveillance. Pourtant, ces paramètres climatiques sont susceptibles d’altérer le médicament. Selon l’OMS, les médicaments ne doivent pas être exposés à la lumière directe, en particulier les solutions. Lors d’une exposition à la lumière du soleil, une décomposition des médicaments peut survenir. La photodégradation d’un médicament peut conduire à une diminution de l’efficacité thérapeutique et parfois à la formation de corpuscules à l’origine d’effets indésirables ou toxiques. La conséquence principale de la dégradation est une diminution de l’activité thérapeutique, ce qui entraîne des conséquences plus ou moins graves à l’échelle individuelle ou collective.

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