Recours aux « gros bras »: Atanga Nji en colère contre les gouverneurs de région

Dans un communiqué sans détour, le ministre Paul Atanga Nji rappelle à l’ordre les gouverneurs face à la prolifération de milices privées utilisées dans les litiges civils. Derrière cette sortie officielle, un parfum d’impuissance et de tensions politiques.
Dans une rare prise de position aussi tranchée, le ministre de l’Administration territoriale, Paul Atanga Nji, a signé le 21 avril 2025 un communiqué adressé à tous les gouverneurs de région pour dénoncer et interdire l’usage croissant de groupes dits de « gros bras » dans les affaires de recouvrement forcé, d’expulsions et de déguerpissements. Dans cette lettre au ton ferme, celui-ci alerte sur l’utilisation croissante de groupes privés, parfois organisés en véritables milices. Ceux-ci sont utilisés dans des procédures qui devraient pourtant être encadrées par la loi et mises en œuvre par des forces de l’ordre légalement constituées dans plusieurs localités du pays. Derrière cette sortie officielle se cache une double lecture. D’un côté, une volonté de réaffirmer l’autorité de l’État face à des pratiques devenues banales, voire tolérées. De l’autre, un aveu à peine voilé de l’incapacité des autorités administratives à contenir ces dérives sécuritaires dans plusieurs régions du pays.
Ces « gros bras », selon le ministre, opèrent souvent sous la forme de milices aux ordres de particuliers ou d’intérêts privés. Leur présence est particulièrement signalée sur les sites de litiges fonciers, où ils s’illustrent par des actions brutales, allant des voies de fait aux violences physiques, en violation flagrante de l’ordre public. « Il me revient de manière récurrente que des groupes d’individus qualifiés de “gros bras” sont très souvent utilisés dans des procédures de recouvrement forcé des créances, des expulsions et des déguerpissements, en lieu et place des forces de maintien de l’ordre légalement habilitées », écrit le Minat. En effet, depuis plusieurs années, des témoignages documentent l’usage de jeunes hommes musclés et violents pour exécuter des décisions judiciaires ou arbitrer des conflits fonciers, parfois sans fondement légal. Ces groupes souvent affiliés à des élites locales ou à des opérateurs économiques s’imposent dans le silence complice ou l’impuissance manifeste des autorités.
Cette sortie du ministre de l’Administration territoriale pourrait être interprétée comme une mise en garde aux gouverneurs dont l’autorité serait minée ou remise en question sur le terrain. Certains analystes y voient un message adressé à ceux qui, par laxisme ou intérêt personnel, auraient fermé les yeux sur ces pratiques. D’autres y lisent une volonté de se dédouaner des critiques croissantes sur la gestion sécuritaire du pays, en particulier dans les zones sensibles comme le Sud-Ouest ou le Littoral, où les conflits fonciers et les expulsions musclées sont monnaie courante. Cependant, Paul Atanga Nji en appelle à la responsabilité des gouverneurs. « Aussi, ai-je l’honneur de vous demander de vouloir bien mettre définitivement un terme à ce phénomène de “gros bras” dans vos unités de commandement respectives », instruit-il. Par cette directive, le ministre entend mettre un coup d’arrêt aux dérives qui gangrènent le processus légal de résolution des litiges.
Il s’agit également de prévenir les troubles à l’ordre public, souvent aggravés par l’usage non encadré de la force par des individus « sans qualité ni formation ». Dans cette lettre, le membre du gouvernement invoque la loi de 1997 sur le gardiennage privé et sa révision de 2014 pour rappeler que les milices privées sont interdites au Cameroun. Il cite notamment l’article 1er, alinéa 3, de la loi n° 97/021 du 10 septembre 1997 relative aux activités privées de gardiennage, modifiée par la loi n° 2014/024 du 23 décembre 2014, qui stipule que « la constitution et l’entretien des milices privées sont interdits sur toute l’étendue du territoire national ». En outre, le recours à la contrainte publique, notamment dans le cadre du recouvrement des créances, est strictement encadré par la loi n° 2023/011 du 25 juillet 2023. Ce texte stipule que seuls les huissiers de justice et les porteurs de contrainte, agissant dans le cadre légal, peuvent solliciter l’intervention des forces de l’ordre avec l’autorisation préalable des autorités administratives compétentes.
Un signal politique fort… à suivre.
En sonnant l’alarme, Paul Atanga Nji tente de reprendre la main sur un dossier explosif, au risque d’ouvrir une brèche sur les failles de l’administration territoriale. Il faut le dire, cette prise de position s’inscrit dans un contexte où l’État cherche à réaffirmer son autorité face à la privatisation croissante de la force dans certains secteurs. Les multiples cas d’abus signalés dans les quartiers urbains comme en zones rurales montrent les limites d’un système parallèle où la loi du plus fort tend à supplanter les procédures judiciaires. Il revient désormais aux gouverneurs de prendre les mesures idoines pour rétablir l’ordre et garantir que seul l’État, par l’entremise de ses organes habilités, puisse recourir à la force publique, conformément à la loi. Un enjeu majeur pour la paix sociale et la légitimité de l’État de droit.
Charles Totchum