Louis Paul Motaze, ministre des Finances: « La souveraineté, c’est une banque bien gérée »
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est exactement un droit de préemption et comment il a été appliqué dans ce cas précis ?
Bon, il faut bien savoir ce qu’est un droit de préemption. D’abord, ce n’est pas la première fois. Nous avons un partenaire, avec nous dans cette belle aventure : la Société Générale du Cameroun. Ce partenaire, pour des raisons stratégiques propres à ses dirigeants, a décidé de se retirer.
Alors, deux choses sont possibles. La première, c’est de laisser la Société Générale vendre ses actions à qui elle veut. C’est son droit le plus absolu, puisque ce sont ses actions. C’est d’ailleurs ce que l’AES avait fait lorsqu’elle quittait le Cameroun, en vendant ses actions à Actis. C’est la première option. Et je crois d’ailleurs savoir que la Société Générale avait entamé des démarches en ce sens, pour trouver un repreneur et fixer un prix.
La deuxième option, c’était que le gouvernement exerce son droit de préemption. C’est-à-dire que, comme le prévoient les statuts, si un des actionnaires veut se retirer, les autres actionnaires ont un droit prioritaire pour acheter les actions. C’est ce que le gouvernement a fait. Et il l’a fait, généralement, pour pouvoir contrôler la suite des événements. Le chef de l’État nous a permis d’exercer ce droit de préemption. Nous l’avons fait, la Société Générale l’a accepté, et nous avons conduit le processus qui a abouti à la signature de l’accord avec l’État.
Ce choix du gouvernement semble stratégique. Pourquoi était-il si important de garder la main sur cette opération ?
Comme je l’ai dit, nous avions déjà un très bon rapport avec la Société Générale, qui, je l’ai dit dans mon propos, nous a accompagnés, et continue d’ailleurs de le faire, dans de nombreuses opérations, notamment pour la levée de fonds destinée à nos projets de développement. C’est une banque très importante. D’ailleurs, le dernier classement des banques montre que la Société Générale est à la deuxième place. Comprenez que c’est une banque extrêmement, extrêmement importante. Donc, quand vous avez un acteur aussi important dans votre écosystème financier, vous voulez savoir ce qui se passe. Vous voulez comprendre, car, voyez-vous, quelqu’un peut arriver, détenir la majorité des actions, et mener une politique particulière qui pourrait ne pas être celle voulue par le gouvernement. C’est pour cela que le gouvernement, voulant maîtriser la suite des événements, comme je l’ai dit, a estimé qu’il devait exercer son droit de préemption.
Encore une fois, l’objectif du gouvernement, c’est de continuer à avoir une banque forte, bien gérée, comme elle l’est actuellement et aussi capable de financer nos projets de développement, notamment en s’alignant sur les grandes orientations définies par le chef de l’État : à savoir financer non seulement les grandes entreprises, mais également les petites et moyennes entreprises.
Certains observateurs évoquent la notion de « souveraineté économique ». Quelle est votre lecture de ce concept, dans le contexte actuel ?
La Société Générale est une institution très forte. Nous avons vu tout ce qu’elle a accompli ici au Cameroun, et nous aimerions que cette banque continue à jouer ce rôle. C’est ce que je peux vous dire. Il y aura une période de transition, pendant laquelle nous allons discuter avec la direction de la banque pour voir comment poursuivre ce qui a été entrepris.
Parce que, comme je l’ai dit, c’est une banque très intéressante, numéro 2 ici au Cameroun, et c’est très important. Quand vous avez un acteur aussi significatif, vous souhaitez qu’il poursuive dans la même direction. Vous savez, moi, personnellement, je me méfie souvent des termes un peu généraux comme « souveraineté économique » — je ne sais pas toujours ce que cela signifie concrètement.
Je crois que la souveraineté économique se manifeste surtout par la solidité de l’économie. Une économie forte signifie un État acteur et régulateur, mais aussi des partenaires privés dynamiques. Je n’ai jamais pensé que la présence d’acteurs privés empêchait l’existence d’une souveraineté économique, comme si seule la présence de l’État pouvait la garantir.
Vous connaissez la philosophie politique du président de la République : la croissance sera tirée par le secteur privé. Et l’État est là pour créer les conditions de l’émergence d’un secteur privé fort et dynamique. Nous nous réservons donc le droit, au niveau du gouvernement, sur instructions du chef de l’État, de décider de la suite à donner aux actions acquises aujourd’hui par l’État.
Cela signifie que tout est sur la table, et rien n’est exclu. Sachez que les décisions qui seront prises, car le chef de l’État prend toujours des décisions très réfléchies — seront celles qui, selon lui, permettront à cette banque… Je voudrais insister : la Société Générale est une banque extrêmement forte, extrêmement bien dirigée, avec des règles rigoureusement appliquées. Nous le constatons lors de nos contrôles, et à travers ceux du régulateur bancaire, la Cobac. La Société Générale présente très peu de problèmes. Et nous souhaiterions que cela continue ainsi.
Moi, je n’aimerais pas qu’on dise « souveraineté économique » alors que, dans les faits, la banque serait moins bien gérée qu’avant. La souveraineté est plus manifeste lorsque la banque est bien gérée. Donc, pour conclure, le chef de l’État prendra les décisions, et je suis convaincu, comme toujours, qu’elles iront dans le sens de renforcer encore davantage la Société Générale, et, par conséquent, l’économie du pays.
Propos recueillis par H. T.

