Le riz de la honte

Soixante-cinq ans après avoir obtenu sa souveraineté internationale, le Cameroun continue de procéder à des ventes promotionnelles d’articles de première nécessité tels que le « riz », par l’intermédiaire du Ministère du commerce.
Les archives historiques indiquent pourtant que, le Ministère de l’agriculture et du développement rural a établi une Stratégie Nationale de Développement de la Riziculture depuis mars 2009. Alors, comment justifier que le Cameroun, qui avait atteint une certaine autosuffisance alimentaire au milieu des années 70, avec une production de 80% de la consommation en riz pour la population camerounaise en 1975, se retrouve à modifier totalement un ministère du commerce en « buyam sellam» (vendeur au détail: Ndlr)?
Deux faits sont indéniables : premièrement, l’industrie du riz est celle dont le pays dépend fortement sur le plan international : en 2006, les importations totalisaient 87 milliards de FCFA, soit environ 429 864 tonnes. Deuxièmement, le riz constitue un aliment essentiel pour les populations rurales et urbaines au Cameroun. En 2009, la demande nationale était estimée à 300 000 tonnes, principalement satisfaite par des importations. Par exemple, selon l’ECAM 3 de 2008, en 2007, la consommation moyenne de riz par habitant dans les villes camerounaises de plus de 50.000 habitants était de 11.180 FCFA.
L’initiative de vente promotionnelle du riz brisure 100% à 15.000 FCFA pour un sac de 50kg reflète deux vérités : une action sociale inefficace et un aveu d’échec des autorités publiques. Une action sociale contre-productive L’action mentionnée est louable dans la mesure où elle soutient les couches défavorisées, en ce qui concerne le produit de première nécessité le plus consommé par les foyers.
Cependant, la problématique demeure : profite-t-elle réellement à tous les individus dans le besoin, compte tenu de sa restriction aux grandes métropoles ? De plus, de nombreuses personnes résidant dans nos villages et zones rurales auraient pu profiter de cela, étant donné qu’elles sont celles qui manquent le plus de perspectives et d’opportunités.
L »opération a profité aux étudiants seulement des universités de Yaoundé 1 et 2. Quid des étudiants des neuf autres universités publiques du Cameroun qui auraient également voulu se fournir, afin de soulager leurs parents majoritairement démunis de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins de leur descendance ?
Comme c’est souvent le cas, cette démarche a été marquée par des disparités flagrantes entre les individus qui ont afflué pour demander l’achats du produit proposé. Alors que certaines personnes n’ont pas réussi à se procurer un sac de riz, d’autres ont réussi à en acheter 10, voire même 100 pour elles-mêmes. Aussi, ces achats ont souvent été réalisés par des revendeurs en vue de se faire des profits
En conclusion, l’opération en question s’est déroulée sans aucune mesure de sécurité. En effet, le lieu des événements sur le boulevard du 20 mai s’est avéré être un endroit propice aux agressions et aux vols divers, au grand désespoir des victimes.
Une reconnaissance d’échec de la part des autorités publiques. Selon l’article 1er du décret n°2012/513 du 12 novembre 2012 qui organise le ministère du commerce, ce dernier est notamment chargé de « (…) la régulation des approvisionnements des produits de grande consommation, en relation avec les administrations concernées (…) ». C’est le seul lien qu’on peut faire entre l’opération en question et le Ministère du commerce
De plus, si le ministère prend la place de la Mission de Régulation des Approvisionnements des Produits de Grande Consommation (MIRAP), dont il est actuellement le superviseur technique, quel serait alors le rôle de cette dernière ?Bien que la régulation vise à garantir un fonctionnement approprié, cela ne veut pas dire que le régulateur doit prendre la place de l’institution Par ailleurs, depuis son indépendance, le gouvernement camerounais a déployé tous les efforts possibles pour soutenir la filière du riz. Des entités telles que la SEMRY et le Ministère de la Recherche Scientifique et de l’Innovation, par le biais de l’Institut de Recherche Agricole pour le Développement (IRAD), sont chargées de travailler vers une autosuffisance alimentaire au Cameroun. Le premier doit se consacrer à la culture du riz, tandis que le second est responsable de mener des études pour obtenir des semences adaptées à notre contexte agricole. Pour terminer, les raisons d’un tel échec trouvent certainement leur réponse dans la longévité des personnes en charge de l’animation de ces pans de la politique gouvernementale que pouvons-nous attendre d’un membre du gouvernement ayant passé plus de 20 ans à la tête du même département ministériel ?
Par Bertrand EBA