Financements américains: Bekolo Ebé analyse la perte de 408 milliards

« Expression économique » publie dans cette édition, l’intégralité de l’analyse de l’Agrégé des Facultés de Sciences économiques et de gestion concernant la récente suspension des financements américains au titre de l’aide au développement, dans les pays d’Afrique en général et au Cameroun en particulier.

« La décision du Président Trump de suspendre les financements américains au titre de l’aide au développement, en particulier les crédits affectés à l’USAID, a suscité beaucoup d’émoi, de crainte et surtout de réprobation, à travers le monde en général, dans les pays en développement et les organismes internationaux en particulier. L’émoi et la réprobation ont été et sont toujours d’autant plus fortes que, comme le soulignent la plupart des observateurs, cette suspension, bien que provisoire, met en cause un nombre important de programmes d’aide, en particulier d’aide humanitaire dans les pays en développement.

Une telle levée de bouclier peut se comprendre, l’USAID gérant un budget de 40 milliards de dollars, sur un total de 62, 3 milliards consacrés en 2023 par les Etats-Unis à l’aide publique au développement, APD, selon les estimations de l’OCDE. Une des formes de légitimité de l’APD repose, en effet, sur sa capacité à être mobilisée rapidement, sur l’entièreté de la planète, dans les crises, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles, de conflits, de crises humanitaires ou de toute autre forme de besoins aigus. Ceci explique et justifie donc la sensibilité à toute décision susceptible de compromettre cette capacité de mobilisation, ce qui est précisément le cas avec le gel des crédits alloués à l’USAID.

Parmi les programmes emblématiques bénéficiaires des fonds alloués à cet organisme, il y a ceux du paludisme, finançant notamment la distribution de moustiquaires et de traitements préventifs aux enfants, du VIH-Sida, permettant la distribution des rétroviraux, d’accès à l’eau potable. Ce sont donc les couches les plus vulnérables qui pâtiront de cette suspension, surtout là où, comme en Haïti, l’État et les services publics sont faillis, ou en Palestine, dans les Territoires occupés, ou, plus proche de nous, en RDC, où la crise humanitaire a atteint son paroxysme. Les pays africains ne seront donc pas en reste, qui eux aussi font face à des situations humanitaires dramatiques, comme c’est le cas, en RDC et au Mozambique.

Dans ces programmes, l’Afrique occupe en effet une place de choix, avec en tête l’Éthiopie, la RDC, la Somalie, le Soudan du Sud, le Nigeria, le Mozambique, le Kenya, l’aide représentant pour ces pays, plus de la moitié de l’assistance étrangère. Le Cameroun est bénéficiaire de ces financements à travers notamment les programmes PEPFAR et PMI concernant le VIH/SIDA et les programmes tuberculose et paludisme, pour une valeur d’environ 650 millions de dollars. On peut donc comprendre la préoccupation du Ministre de la Santé du Cameroun exprimée dans son communiqué du 3 février 2025 qui évoque les conséquences que cette suspension aura, à coup sûr, sur des programmes tels que celui du VIH/SIDA.

À n’en pas douter, la décision américaine aura des conséquences lourdes sur des situations humanitaires toujours plus préoccupantes, avec la multiplication des conflits dans lesquels, par ailleurs, l’enjeu humanitaire est aussi au cœur des stratégies militaires des parties en conflit. Mais au-delà de ce que cette décision américaine peut avoir d’impact négatif, faut-il pour autant s’en tenir à cette réprobation et à ces inquiétudes? Ne faut-il pas saisir cette opportunité pour se remettre en cause, et s’interroger sur ce que nos pays doivent faire pour faire front et surtout construire l’avenir ?

La réponse à cette question me paraît devoir être d’autant plus positive que d’une part, la décision américaine s’inscrit dans une tendance baissière de l’aide au développement, sur le long terme, et d’autre part, cette évolution doit être l’occasion d’une introspection et d’une prise de conscience par nos pays de la contradiction qu’il y a à revendiquer leur autonomie, et dans le même temps à s’inscrire dans une dépendance séculaire qui contredit cette volonté d’autonomie, en acceptant de laisser des programmes aussi importants à la merci des évolutions stratégiques des donateurs, sans se préoccuper, de définir, sur le long terme, des politiques d’autonomisation qui s’inscriraient, de manière pérenne, dans la dynamique développement.

  1. Une décision en totale cohérence avec une tendance baissière de l’APD

La décision américaine, pour spectaculaire qu’elle soit, n’a rien de surprenant, tant elle s’inscrit dans une longue tendance baissière de l’aide au développement, tendance baissière régulièrement relevée par tous les rapports du Comité d’Aide au Développement, CAD, de l’OCDE, et ce, depuis plus de trente ans, même si, quelques fois, il y a comme un sursaut, avec des hausses certaines années.

Dans diverses réunions internationales, faut-il le rappeler, l’objectif que l’aide au développement, APD’ atteigne 0,7% du PIB des pays donateurs a été réaffirmé, faisant consensus. Il en a particulièrement été ainsi lors de la Conférence de Monterrey en 2002. Cet engagement a d’ailleurs été confirmé avec l’adoption en 2015, par les Nations-Unies, des 17 Objectifs de Développement Durable, ODD, dont le Programme des Nations unies pour le développement, PNUD, est chargé du suivi de la mise en œuvre et dont l’horizon a été fixé à 2030. Mais, depuis lors, seuls cinq pays ont atteint cet objectif, à savoir : la Suède (1,14%), la Norvège (1,1%), le Luxembourg (1,02%), le Danemark (0,73%), l’Allemagne (0,73%). Les autres grands pays donateurs, tels que les Etats-Unis, la France ou la Grande Bretagne, le Japon, sont bien en-deca de cet objectif, même si, en valeur absolue, les Etats-Unis restent le plus grand donateur. Mais même pour les cinq pays ayant atteint l’objectif, la tendance est à nouveau à la baisse, les opinions publiques y devenant de moins en moins favorables, avec la montée des populismes d’extrême droite.

Ainsi, d’après l’OCDE, en 2023, les flux d’APD, pour les pays du CAD, se sont élevés à 223,3 milliards de dollars, contre 287 milliards en 2022. Ce total est inférieur de 143 milliards de dollars par rapport à l’objectif de 0,7%, ou à l’objectif 17 des ODD, qui fixe le montant au double du volume actuel. L’ensemble des flux d’aide publique au développement des pays membre du CAD ont ainsi représenté 0,37% de leur revenu national brut, soit un peu moins de la moitié de l’objectif de 0,7%. En 2022, les flux d’aide aux PMA ont diminué de 4%, tombant à 64 milliards de dollars, et ce après une baisse de 8%, l’année précédente.

Bien plus, cette tendance baissière s’accompagne d’une évolution structurelle, les flux au titre des dons diminuant au profit des prêts. Entre 2021 et 2022, les dons ont diminué de 8%, pour atteindre 109 milliards de dollars, alors que les prêts dans le même temps augmentaient de 11%, pour atteindre 61 milliards de dollars. Et pour l’Afrique, la part des prêts est en hausse de 29% en 2022. On peut certes objecter qu’il s’agit des prêts concessionnels, mais cette concessionnalité est souvent plus que compensée par le caractère lié de ces flux.

Ainsi, le paysage mouvant de l’aide au développement se caractérise actuellement par une multiplication des circuits de financement et des fonds verticaux, conjuguée à une fragmentation des transactions et une augmentation rapide des ressources affectées à une fin spécifique, ce que déplorait récemment le Vice-président de la Banque Mondiale pour le Financement du Développement, M. Akihiko Nishi (2023). À cela s’ajoute une évolution importante de l’affectation de l’aide en faveur de dispositifs dédiés à un secteur ou un domaine particulier. Avec des engagements qui ont été multipliés par 16 au cours des vingt dernières années, les fonds « verticaux » fournissent désormais aux pays en développement un volume de dons d’APD supérieur à celui des banques multilatérales de développement (BMD). (Akihiko Nishi, Francisco G. Carneiro, 2023).

Ainsi, alors que les nouvelles contributions aux trois principaux organes d’aide concessionnelle des BMD — l’Association internationale de développement (IDA)/Banque mondiale, la Banque africaine de développement et la Banque asiatique de développement — ont diminué de 15 % en valeur nominale au cours de la dernière décennie, celles destinées aux cinq plus grands fonds verticaux — le Fonds mondial (de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme), GAVI-l ’Alliance du vaccin, le Fonds vert pour le climat, le Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) et le Fonds pour l’environnement mondial (GEF) — ont bondi de 95 %, dépassant de 9,2 milliards de dollars les BMD. L’essor de ces fonds a considérablement accru les flux financiers en direction de secteurs et de domaines thématiques qui sont hautement prioritaires pour les pays donateurs.

Cependant, ainsi que le relève la Banque Mondiale, la majorité d’entre eux ne créent pas d’effet de levier. Autrement dit, pour chaque dollar apporté par les donateurs, un montant de financement équivalent est versé aux pays bénéficiaires. Toujours selon la Banque Mondiale, si l’expansion des financements dirigés vers les fonds verticaux avait au contraire bénéficié aux organes d’aide concessionnelle des BMD, et dans l’hypothèse prudente d’un effet multiplicateur de 2,5, ces 19,6 milliards de dollars auraient pu permettre de mobiliser 50 milliards de dollars supplémentaires pour le développement mondial. À la lumière de ces chiffres, on mesure le poids des occasions manquées et, compte tenu de la disponibilité limitée des ressources concessionnelles, la marge de progression possible pour une affection stratégique plus équilibrée.

Pour la Banque Mondiale, la recherche d’un meilleur équilibre dans l’allocation des ressources et l’adoption d’une approche plus collaborative pourraient aider à surmonter les difficultés posées par des besoins concurrents et une fragmentation croissante de l’aide, avec, à la clé, la mobilisation de plus de financements pour s’attaquer efficacement aux défis mondiaux du développement, (Akihiko Nishi, Francisco G. Carneiro, 2023). Une bonne partie des flux concerne les secteurs de la santé, avec une tendance à la baisse, après les hausses records de 2020 et 2021, liées au COVID, de l’accès à l’eau potable, et du développement des infrastructures de base.

Au regard de ces tendances baissières et de cette fragmentation de l’APD qui en réduit l’effet, il n’y a rien d’étonnant à ce que la nouvelle administration Trump, décide de sabrer sur ces flux, s’inscrivant ainsi dans un mouvement baissier de long terme. Il s’agit donc d’une tendance lourde, et c’est précisément ce qui doit interpeller nos pays, et les obliger à faire une introspection critique qui leur fasse prendre conscience des hypothèques lourdes que leur impose ces flux.

II- L’urgence d’une prise de conscience et de révisions déchirantes

On peut certes déplorer que la tendance baissière traduise une remise en cause de la solidarité internationale, encore faut-il s’interroger sur la réalité de cette solidarité, eu égard aux conséquences que la continuité de ces flux peut avoir sur le développement des pays bénéficiaires. De nombreux travaux ont en effet été consacrés à l’analyse des effets de l’aide tant pour les bénéficiaires que pour les donateurs. Tous ces travaux sont unanimes pour souligner la dépendance dans laquelle la pérennité de ces flux, installe les pays bénéficiaires, et ce, nonobstant les effets bénéfiques de court terme qui peuvent en résulter, surtout dans des situations de crises graves. Ils soulignent aussi tous, la réduction de l’effet de levier attendu qui résulte justement de cette fragmentation toujours plus grande des flux d’APD.

La littérature analysant l’APD a aussi mis en lumière, les ambiguïtés qui en fondent les pratiques et qui introduisent des biais, sources de distorsions pour les pays bénéficiaires. Une des sources de ces ambigüités tient à l’un des déterminants des politiques d’APD, en l’occurrence, la promotion de modèles et/ou de valeurs, ce que l’on peut également appeler influence au sens large, et qui peut également être considéré comme relevant du principe de réciprocité, sous une forme toutefois moins explicite et plus ambiguë.

Dans les années 1960, le fondement de l’aide (et du « développement », voir Rostow 1960) comme promotion de modèles alternatifs au communisme était clairement assumé. La promotion, via les programmes d’ajustement structurel, des modèles économiques libéraux n’étaient pas moins affirmée dans les années 1980, avec toutes les conséquences négatives pour nos pays, en termes d’hypothèques lourdes pour leur développement, et donc ils paient depuis lors un prix tout aussi lourd. On peut certes penser que, depuis quelques années, l’on a évolué d’une promotion de « modèles » économiques et sociaux vers une promotion de valeurs diversifiées, reflétées notamment dans les ODD, relevant du droit (droits humains, droits des minorités), de l’égalité (lutte contre les fortes inégalités, égalité de genre) ou de la gestion des communs environnementaux, etc. Il s’agit cependant plus d’un glissement que d’une rupture.

L’ambiguïté de ce déterminant d’influence de l’APD est qu’il est largement construit à la fois par et au sein même de la communauté de l’APD, avec une contribution prépondérante du « club » des pays donneurs, même s’il est par la suite légitimé par de larges consensus internationaux. Si les excès de coercition, qui ont caractérisé les programmes d’ajustement structurel, peuvent être considérés comme relevant d’une époque révolue, encore que nous assistions aujourd’hui à un retour implicite de ce processus ici en Afrique, en Afrique centrale en particulier, les ambiguïtés entre la promotion de valeurs universelles et celle de modèles occidentaux constituent une source de malentendu profond et persistant, relevant souvent du non-dit, entre donneurs et receveurs d’aide. On assiste ainsi à la coexistence de motivations « intéressées » et « désintéressées », dont la cohérence et la convergence ne sont pas garanties, de telle sorte que les transferts ne relèvent pas du droit pour les pays bénéficiaires, et parallèlement de l’obligation pour les pays donateurs. De ce fait, l’APD, n’a jamais acquis un véritable caractère de justice à l’échelle mondiale, que celle-ci soit distributive ou corrective, (Thomas Melonio, Jean-David Naudet et alii, 2022).

Le plus grave, c’est que nos pays ne s’interrogent ni ne s’inquiètent au sujet de ces ambigüités qui les insèrent dans des logiques pas toujours compatibles et donc pas toujours en cohérence avec leurs intérêts, et donc leurs priorités de développement. La décision américaine vient rappeler que cette coexistence ne va pas de soi, puisqu’une des raisons évoquées fondant la décision, pour ne pas dire, la principale, est la nécessité, pour la nouvelle administration américaine, d’évaluer le bien-fondé de ces flux, pour les Etats-Unis eux-mêmes et leurs intérêts, et non pour ceux en qui en bénéficient. Dès la fin des années 1960, on a pu prendre par exemple, la mesure des effets pervers de l’aide alimentaire sur l’évolution, à long terme, des habitudes alimentaires pour les populations bénéficiaires, tout autant que leurs effets sur la production agricole locale, du fait d’un processus de substitution qui s’est progressivement installé, avec par ailleurs, des implications sur le plan de la santé.

Pendant l’ajustement structurel, la Banque Mondiale et les autres bailleurs de fonds, surtout bilatéraux, ont décidé de privilégier, et d’imposer comme priorité pour leur financement, en matière de santé, les soins de santé primaire, et en matière d’éducation, l’éducation de base. Les choses ont été telles qu’on admettait implicitement que les soins de santé primaire étaient exclusifs de et en contradiction, avec le développement de soins de santé performants, en termes d’infrastructures hospitalières et de plateaux techniques performants. De même, en matière d’éducation, l’éducation de base était ainsi implicitement posée, comme préférable à l’éducation secondaire et supérieure, dont les dépenses y consacrées étaient considérées comme tout à fait superfétatoires.

Dans cette optique, les choix ont été tels que nous devions admettre que nos pays pouvaient, sans conséquence pour l’avenir, faire l’économie d’infrastructures de santé performantes, ou de la promotion d’un enseignement supérieur et d’une production scientifique et technologique performants. Nous avons ainsi accepté de laisser peser sur nos pays de lourdes hypothèques sur l’avenir, dont nous payons aujourd’hui le prix lourd.

Est-il en effet normal, par exemple, que sur le long terme, l’éradication du paludisme repose essentiellement sur des financements extérieurs, et que la priorité y soit donnée à la fourniture de moustiquaires imprégnés, plutôt qu’à des politiques durables d’assainissement de l’environnement et de prévention de ces pathologies, ou de recherches pour de médicaments appropriés, à partir de notre pharmacopée, comme l’a fait l’Inde? Peut-on penser améliorer significativement la santé, en négligeant le développement des infrastructures hospitalières, pour donner la priorité à des programmes, certes d’urgence, mais qui, in fine, donnent la priorité au provisoire plutôt qu’au développement à long terme?

On ne peut ainsi comprendre que l’on s’émeuve tant des conséquences de la suspension de ces flux, alors même que nos pays subissent une véritable hémorragie de leurs personnels médicaux (médecins et infirmiers) qui émigrent massivement vers les pays donateurs dont ils vont soutenir les systèmes de santé, alors que nous sommes loin d’approcher la norme OMS, de rapport médecin/population qui est de 2,3/1000 habitants ou de 4,45/1000, en y incluant les autres personnels médicaux, et que ce ratio, s’agissant du Cameroun, et d’ailleurs de la plupart des autres pays africains, se dégrade d’année en année?

Comment s’émouvoir de l’arrêt de ces financements, alors qu’un nombre important d’enseignants formés dans nos écoles normales, tant pour l’enseignement primaire que pour l’enseignement secondaire, émigrent vers le Canada, ou l’Europe, sans que cela émeuve les décideurs? Pire, les décideurs semblent ainsi trouver normal que des pays comme la France ou le Canada, viennent organiser ici même, dans nos pays, des campagnes de recrutement d’enseignants et de médecins et infirmiers, pour soutenir leurs systèmes éducatifs et de santé, alors même que les nôtres risquent ou sont au bord de l’effondrement.

En d’autres termes, nous trouvons implicitement normal que le produit obtenu du peu que nous investissons dans le capital humain soit exploité par d’autres à notre propre détriment, et dans l’indifférence des décideurs. Plus concrètement, il indiffère à tous que les écoles primaires soient sans instituteurs ou fonctionnent avec des « maîtres de parents », alors que les recrutements sont à l’arrêt et que des instituteurs formés soient en chômage. Il indiffère tout autant que des médecins sortis de nos facultés soient au chômage, les recrutements étant à l’arrêt, l’émigration devenant pour eux la seule issue. Et tout ceci sans préjudice de ce que les conditions de rémunération de ceux qui sont en activité, n’ont rien d’incitatif!

Lorsqu’implicitement on a ainsi choisi la dépendance de l’assistanat, on peut ainsi s’étonner que par exemple, s’agissant de la santé, le Ministre de la Santé du Cameroun demande aux médecins, dans les régions, de prendre des mesures d’urgence pour pallier à l’arrêt des financements, sans dire pour autant où ceux- ci devront puiser des ressources substituts, dans un système qui s’est construit et s’est ainsi, habitué à tendre la main.

Il y a de ce fait, pour nos pays, une contradiction à vouloir affirmer une volonté d’indépendance et d’autonomie, tout en se reposant sur les flux financiers de ce dont on prétend s’affranchir, en oubliant que le payeur est toujours le donneur d’ordre. Les différentes études consacrées aux effets de ces flux montrent que ceux-ci profitent d’abord aux pays donateurs. Une étude de l’Université de Copenhague, publié en 2010 soulignait ainsi que l’aide publique au développement représentait, chaque année, un point de la croissance de leur PIB. D’autres travaux plus récents, en même temps qu’ils confirment ce constat, relèvent par ailleurs, que l’aide publique au développement, emporte avec elle une ensemble de distorsions et d’effets pervers, liées à ses caractéristiques. Il ressort en particulier qu’elle est souvent mal ciblée, en contradiction avec les stratégies de développement, sources de multiples conflits d’intérêt, accentuant la dépendance, d’autant qu’elle est un terrain favorable aux comportements bureaucratiques qui font le lit à la corruption.

La décision américaine, à notre avis devrait être un électrochoc pour nos pays pour qu’ils prennent conscience que leur développement est d’abord une responsabilité qui leur incombe au premier chef. Il leur appartient non seulement de définir leurs priorités de développement, mais encore et surtout d’en tirer toutes les implications en termes d’affectation des ressources. Elle doit être saisie comme une opportunité pour nos pays de faire un examen critique sans concession de nos stratégies de développement et donc de procéder à des révisions fondamentales en termes de priorités dans l’affectation de nos ressources, ( Bekolo-Ebé, 1993).

Ainsi en matière de santé, il nous semble urgent de donner à nouveau et de manière irréversible, la priorité aux programmes de prévention et d’assainissement de l’environnement, à la mise en place d’infrastructures et de plateaux techniques performants, et des incitations permettant de mieux mobiliser notre capital humain, et d’investir massivement une passe critique de capital, pour développer des filières de production de médicaments, en exploitant la richesse de nos pharmacopées. C’est cette inversion de l’ordre des priorités qui a par exemple permis à l’Inde de devenir un producteur majeur de médicaments génériques contre le paludisme, et plus généralement de disposer d’un système de santé très performant, pendant que nous nous en remettions à l’aide humanitaire extérieure dont les donateurs sont, de ce fait devenus les seuls donneurs d’ordre. Il n’y a de ce fait rien d’étonnant que l’Inde soit aujourd’hui une des principales destinations pour nos évacuations sanitaires!

Dans le cas du Cameroun, on peut se demander ce qui a pu justifier l’abandon des programmes mis en place par l’Institut de Recherches des Plantes Médicinales, IRPM, ou l’Institut de Recherches Zootechniques, IRZ, pour la santé animale, alors que ces structures étaient engagées, à partir de la fin des années 1970, dans des programmes de recherches très promoteurs? Comment expliquer que toute la recherche engagée dans le secteur agricole, par l’IRAD, ne donne pas lieu à transfert des résultats dans le secteur productif, mais que nous en soyons encore à importer autant, en termes d’intrants et de semences pour notre agriculture, et tout autant de produits alimentaires de consommation courante, tel que le riz, ou de maïs pour une filière avicole depuis lors en crise, et dont la conséquence est une forte flambée des prix ? Or il ne s’agit pas là d’une fatalité, puisque l’exemple du Président Wade a pu montrer comment a pu s’opérer au Sénégal, le retournement de tendance pour le riz. Sur un tout autre plan, en choisissant dans le cadre du programme de lutte contre le paludisme, de faire de la distribution de moustiquaires imprégnés, une mesure phare de ce programme, celle-ci n’aurait-elle pu se mettre avantageusement en œuvre, en la prolongeant par la mise en place d’une structure de production locale de ces moustiquaires?

Une telle révision des priorités oblige donc que l’affectation de nos ressources internes s’orientent en premier vers ces priorités, pour lesquels les flux extérieurs ne peuvent être, au mieux, que des adjuvants, qui ne doivent pas conditionner leur réalisation. Plus que jamais, nos pays doivent fait leur, cette affirmation du grand économiste estonien Ragnar Nurkse, que « Capital is made at home », faute de quoi, nous continuerons à nous enfoncer toujours un peu plus dans le cercle vicieux de la pauvreté.

 

 

 

 

 

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