Filière brassicole: Le Mincommerce impuissant face aux augmentations des prix

Des tenanciers de bars et autres points d’approvisionnement ont revu leurs prix à la hausse, nonobstant la décision de Luc Mbarga Atangana, le ministre du Commerce, (MinCommerce) du 16 juillet dernier, de maintenir le statuquo.

On dirait un dialogue de sourd. Au moment où le ministre du Commerce (Mincommerce), Luc Mbarga Atangana, prescrit de ne pas changer les prix de la bière, des tenanciers de débits de boisson, eux, ont tranquillement procédé à une hausse sans autre formes de procès. Dans plusieurs bars de la ville de Douala, la capitale économique, le constat est réel. Pour acheter certaines, il faut ajouter au montant habituel, une somme comprise entre 50 et 100 FCFA. Ainsi, la « 33 » qui coûtait 650 FCFA jusque-là, est désormais vendue à 700 FCFA. La « Isenbeck » qui coûtait jadis 750 FCFA, est désormais vendue entre 800 et 850 FCFA. Pis, les prix des bières importées ont connu une flambée, y compris dans les grandes surfaces. La Heineken qui était vendue à 900 FCFA est actuellement au vu et su de tous à 1050 FCFA.

« C’est devenu de plus en plus difficile pour nous qui nous ravitaillons dans les dépôts ; car, le casier de bière qui nous était cédé à 7 100 F est parfois vendu à 7 800 FCFA. Obligé de récupérer sur le consommateur », justifie Caurelle, tenancière de bar au quartier PK13, à Douala. Cette hausse d’après elle, est imputable à la rareté des produits. « Les marques sont devenues rares. Surtout les produits Guinness ».

La même justification est donnée dans le bar de Céline Salomé, situé à quelques jets de pierres, ainsi que dans d’autres secteurs de la ville de Douala, selon plusieurs témoignages. « Lorsqu’il y a pénurie de boissons, tu es obligé de parcourir les artères de la ville pour te ravitailler. Avec ces dépenses supplémentaires, on est obligé de revoir le prix de vente de la bouteille à la hausse pour s’en sortir. La ‘’Magnan’’ par exemple est vendu par beaucoup à 600 F au lieu de 500 FCFA (prix officiel) parce que c’est rare », argumente Céline Salomé. Pourtant, selon les acteurs du secteur brassicole, cette hausse non officielle ne bénéficie ni à l’ensemble de la filière ni aux producteurs.

Pourtant, à l’issue d’une concertation tenu le 16 juillet dernier à Yaoundé, entre le ministre du Commerce, les producteurs membres de la Cameroon Alcohol Producer Association (Capa) et les représentants des syndicats du secteur, le membre du gouvernement a marqué un « non » ferme sur une possible augmentation du prix de la bière longtemps souhaitée par les producteurs, distributeurs et syndicalistes. « Quand on a la fièvre, on ne la soigne pas en cassant le thermomètre », a déclaré le ministre, fustigeant l’attitude des acteurs qui se focalisent sur les prix au détriment des enjeux structurels. Il a dénoncé une « hypocrisie » généralisée, pointant du doigt l’absence d’organisation, de concertation et de dialogue au sein de la filière. Le membre du gouvernement a rappelé que toute modification tarifaire est soumise à une procédure d’homologation préalable, basée sur des justificatifs probants.

Au final, le ministre du Commerce a renvoyé les acteurs à leurs responsabilités, les exhortant à engager une concertation pour résoudre leurs différends contractuels. Parallèlement, il a demandé aux producteurs de fournir des éléments justifiant la hausse des prix sollicitée, exprimant ses doutes quant à sa légitimité dans un contexte où « le producteur gagne de l’argent ».

En l’état, les prix restent inchangés. Ainsi, la grille tarifaire en vigueur reste celle homologuée depuis 2019. Elle fixe le prix des bouteilles blondes de 65 centilitres à 650 FCFA. Or la réalité est toute autre sur le terrain.

La Sabc et le Gecam plaident pour une hausse de prix des boissons

Le DG de Boissons du Cameroun, Stéphane Descazeaud, a fait sa doléance au gouvernement le 21 mars 2024 lors de l’inauguration officielle de l’extension de l’usine de Yaoundé. Au cours de cette cérémonie, il en a profité pour dire au chef du gouvernement dans quel contexte Boissons du Cameroun évolue aujourd’hui.

D’après le DG, cela fait 5 ans que les prix des boissons au Cameroun (car c’est le seul pays dans ce cas), n’ont pas augmenté. Mais aussi, a-t-il affirmé, cela fait 3 ans que l’entreprise subit un tsunami inflationniste sur les matières premières, les consommables, le carburant, le gaz, l’électricité, les salaires, et « bien évidemment les taxes, dont la nouvelle hausse des droits d’accises décidée dans la loi de Finance 2024, ne fait qu’apporter de l’insécurité à la fragilité déjà palpable ».

Il n’y a rien qui n’ait pas augmenté, excepté les boissons, a décrié Stéphane Descazeaud. Il a avoué que comme tous les autres industriels, la société subit de plein fouet les trop nombreuses coupures d’électricité « qui ont littéralement amputé nos capacités de production spécifiquement depuis le mois de décembre 2023 et endommagé nombres de nos équipements pour lesquels nous n’avons pas toujours les pièces de rechange disponibles, il en est de même pour nos fournisseurs locaux dont le taux de rupture a atteint son paroxysme depuis quelques mois face à leurs difficultés de production ».

Les conséquences sur le marché dit-il, sont catastrophiques : ruptures de stocks à répétitions, des filières entières menacées. Résultat de course, les prix de vente sur le marché ne sont plus respectés. Egalement, en mars 2022, le Groupement inter-patronal du Cameroun (Gicam), aujourd’hui Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam), avait sollicité une augmentation de 50 FCFA sur le prix des bières pour compenser les surcoûts d’importations des sociétés brassicoles. C’était au cours d’une concertation organisée à Yaoundé, entre le gouvernement, les opérateurs économiques et la société civile.

Cette révision des prix de 50 FCFA, devrait permettre de compenser 28 milliards FCFA sur des surcoûts d’importation de 35 milliards FCFA enregistrés entre 2020 et 2022 par les sociétés brassicoles du pays. Ces surcoûts sont consécutifs à l’explosion des prix des matières premières et du fret à l’international, après l’atténuation de la pandémie du Covid-19 et le déclenchement, fin février 2022, du conflit russo-ukrainien.

Pour compenser ces surcoûts, fin septembre 2023, l’association de producteurs d’alcool du Cameroun (Capa), avait décidé de réduire drastiquement la ristourne que les détaillants perçoivent pour chaque casier de bière vendu. Mais cette mesure avait provoqué la colère des barmen. Heureusement, le MinCommerce était monté au créneau pour mettre fin à cette « guerre ».

Hélène Tientcheu

 

 

 

 

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