Evocation: Quand les historiens critiquaient la « Commission »

Daniel Abwa et Jean Koufan avaient eu des avis divergents sur la Commission chargée de travailler sur l’action de la France au Cameroun pendant la colonisation et après l’indépendance du pays, codirigée par l’artiste camerounais Blick Bassy et l’historienne française Karine Ramondy.

Dans une interview accordée à la chaine BBC, le Président de la Société Camerounaise d’Histoire (SCH), feu Daniel Abwa, avait qualifié en son temps la composition de cette Commission de « véritable insulte » à l’endroit des historiens camerounais. Il avait déclaré à cet effet : « si on a pu trouver qu’un musicien, un artiste, pour représenter ceux qui doivent participer à cette commission, je pense que c’est une grosse insulte à notre endroit. Il est tout à fait normal que nous puissions exprimer notre indignation parce que les historiens camerounais sont suffisamment connus et méritent un peu plus de respect », avait déclaré le défunt. Une sortie qui n’a pas été du goût de Jean Koufan Menkéné, Historien politique.

Pour lui, il est malhonnête d’exiger de la France le respect des historiens camerounais si le Cameroun peine lui-même depuis de très nombreuses décennies à leur accorder un tel privilège. Même s’il pense que les historiens camerounais méritent mieux, il estime que ce n’est pas à la France qu’il faut adresser une telle protestation. « Que craignons-nous de la désignation de l’artiste Blick Bassy à la tête de la Commission mémoire. N’est-il pas Camerounais ? Pourquoi lui faire un procès en sorcellerie avant de l’avoir vu au pied du mur ».

L’Historien avouait ne pas comprendre la gêne de son défunt confrère Daniel Abwa. « Tu t’offusques de la désignation d’un artiste musicien pour diriger ladite commission. Nos dirigeants n’auraient pas fait mieux […]. Si l’initiative avait été laissée à la partie camerounaise, l’esprit de prédation aurait prévalu sur la science. Toi et moi nous nous serions retrouvés avec un bienheureux administrateur civil au CV préfabriqué, commis par ses semblables pour aller à la curée. Jusqu’à quand allons-nous donc continuer à faire endosser à la France le poids des turpitudes de nos propres dirigeants antipatriotes ?».

Un jeu de ping-pong entre Historiens

Il fait d’ailleurs, remarquer qu’en tant qu’enseignant d’histoire à l’Université de Yaoundé durant 34 ans, il ne connait qu’un seul enseignant de ce Département qui ait été honoré d’une distinction honorifique, et c’est le Pr Daniel Abwa. « Une telle solitude face à la multitude que fûmes et que nous sommes encore me convainc de ce que ta distinction doit à d’autres considérations qu’à ton immense contribution à l’enrichissement de l’historiographie de notre pays.  C’est dire combien la patrie nous est reconnaissante ! »

Une pilule amère pour le Président de la SCH qui a vite fait de remarquer que le Pr. Jean Koufan fait preuve de mauvaise foi « car s’il veut comparer ce que j’ai fait par rapport à ce qu’il a fait. Il n’y a pas match. J’ai occupé de grandes fonctions administratives pendant plus de 30 ans dans une même université sans avoir reçu une seule demande d’explication ni une rupture dans mon ascension. Aucun scandale, à ma connaissance n’a été mêlé à ma carrière administrative et académique.».

Le mutisme de Paul Biya le 26 juillet 2022 interroge

Il a demandé à ses collègues, de ne pas accorder du crédit aux propos de Jean Koufan. « Considérez la lettre ouverte du Pr. Jean Koufan Menkene comme la simple manifestation d’une basse jalousie qui s’est transformée graduellement en haine à l’endroit de Pr. Daniel Abwa du fait de ses performances académiques et administratives ». Face à ces passes d’arme entre historiens, reste à questionner le mutisme de Paul Biya lors de la conférence de presse commune du 26 juillet 2022 à Yaoundé.

Son régime, héritier direct de celui qui fut installé pendant la séquence historique qu’il est aujourd’hui question d’étudier, a-t-il vraiment l’intention d’aider les historiens à documenter les massacres, les destructions de grande ampleur et l’instrumentalisation des identités ethniques sur lesquels furent posées les fondations de l’État camerounais moderne ? Ou s’agit-il d’une initiative exclusivement française dans le cadre de la « refondation des relations franco-africaines » dont le président Macron se fait le héraut depuis son accession à l’Élysée, en 2017 ?

Les conclusions des historiens mandatés par l’Élysée auront-elles plus de valeur que celles des chercheurs qui les ont précédés sous prétexte qu’elles s’appuient sur quelques archives supplémentaires ? Une fois validées au plus haut sommet de l’État, ne risquent-elles pas de donner l’illusion que la « lumière » a été faite pour toujours ? En plus de faire peu de cas des travaux existants, les commissions d’historiens lancées par Emmanuel Macron alimentent en effet le mythe d’une vérité historique « définitive » et la croyance dans la toute-puissance des « archives ».

Hélène Tientcheu

 

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