Evariste Yameni: « Le contenu local est la clé d’une économie durable et inclusive »

Le directeur exécutif de la Bstp, explique comment la charte de contenu local pourrait renforcer les PME camerounaises et stimuler un développement économique durable pour le pays.

C’est quoi le contenu local ?

Le contenu local désigne l’ensemble des ressources locales qu’une entreprise utilise ou développe le long de sa chaîne de valeur lorsqu’elle investit dans un projet dans un pays hôte. Il est également perçu sous l’angle des activités qui assurent le développement des compétences locales. C’est cette définition qu’a adoptée le Gouvernement camerounais, pour qui le contenu local est « l’ensemble des activités axées sur le développement des capacités locales, l’utilisation des ressources humaines et matérielles locales, le transfert de technologies, l’utilisation des sociétés industrielles et de services locaux, et la création de valeurs additionnelles mesurables pour l’économie locale » (article 3, code gazier du Cameroun ou article 4 du code minier). La mesure du contenu local devrait, en tout état de cause, intégrer : le développement de la main-d’œuvre locale, l’emploi de la main-d’œuvre locale, la formation de la main-d’œuvre locale, les investissements dans le développement des fournisseurs, le développement de l’offre et des services locaux, et les achats de fournitures et services locaux.

Pourquoi élaborer une charte sur le contenu local et à quoi cela va-t-il servir ?

Le tissu économique camerounais est composé à 99,8 % de PME, dont 79,32 % sont des très petites entreprises, 19,43 % des petites entreprises et 1,25 % des moyennes entreprises. Celles-ci sont confrontées à des défis tels que la concurrence des entreprises étrangères, parfois des multinationales, l’accès au marché ou encore le manque de financement. La mise en place d’une charte de promotion du contenu local est donc une étape importante pour renforcer la compétitivité des PME et TPE camerounaises et leur permettre de mieux faire face à la concurrence des entreprises étrangères. Les effets induits par cet instrument pourraient dynamiser la création d’emplois et la pérennité des entreprises sous-traitantes en quête de nouveaux marchés.

L’élaboration d’une charte de promotion du contenu local est également une recommandation issue de l’atelier national tripartite sur la promotion de la Déclaration de l’OIT des principes tripartites sur les entreprises multinationales et la politique sociale (Déclaration sur les EMN), qui s’est tenu à Douala en août 2024. La Déclaration offre des lignes directrices pour renforcer les effets positifs sur le plan social et du travail des activités et de la gouvernance des entreprises multinationales afin de concrétiser le travail décent pour tous. Les principes de la Déclaration donnent des orientations dans des domaines tels que l’emploi, la formation, les conditions de travail et de vie, les relations professionnelles ainsi que la politique générale.

Pourquoi cet intérêt soudain pour la problématique du contenu local ?

La Bourse de Sous-traitance et de Partenariat du Cameroun a, depuis sa création, pour mission la « promotion et la lutte pour la prise en compte du contenu local dans les activités de sous-traitance ». Il ne s’agit donc pas d’un intérêt soudain. Quelques mois après avoir obtenu notre autonomie de gestion, nous avons organisé à Yaoundé, précisément le 6 décembre 2014, un atelier sur le contenu local. Il s’agissait d’identifier les activités à inscrire dans le concept de contenu local, d’analyser les contraintes et solutions à son développement, et d’élaborer un cadre réglementaire, législatif et technique pour sa promotion. Nous avons également mis en place un observatoire pour veiller à son respect. Quelques années plus tard, notamment en mai et juin 2021, nous avons initié un plaidoyer pour la prise en compte du contenu local dans les politiques économiques de notre pays et l’inscription de dispositions à ce sujet dans la loi sur la sous-traitance en gestation. La BSTP a donc toujours travaillé pour intégrer le contenu local, en particulier dans les secteurs de la sous-traitance industrielle.

Quels sont les résultats attendus de ces deux jours d’atelier ?

Nous attendons, de l’expertise réunie ici, la mise en place d’une charte de promotion du contenu local pour les PME et TPE camerounaises, ainsi que la proposition d’une démarche officielle pour l’adoption de la charte. Sont également attendues des recommandations pour la mise en œuvre de la charte, y compris des mesures nécessaires pour assurer la participation des donneurs d’ordres, dont les entreprises multinationales, et de toutes les parties prenantes. Des recommandations pour la mise en place d’un système de suivi et d’évaluation pour mesurer les effets et l’impact de la charte sur les PME et TPE camerounaises seront également formulées. Enfin, des recommandations pour la mise en place d’un système de communication afin de sensibiliser les entreprises et parties prenantes à l’importance de la promotion du contenu local seront proposées.

Comment le contenu local peut-il concrètement booster l’économie nationale et contribuer à l’émergence du Cameroun ?

Voyez-vous, environ 40 % des Camerounais vivent en dessous du seuil de pauvreté, et cette pauvreté touche particulièrement les populations en zones rurales. Paradoxalement, c’est dans ces zones rurales que sont exploitées l’essentiel des ressources naturelles. La réalité ici est que le développement économique endogène ne suit pas, et la croissance inclusive n’est pas au rendez-vous, en dépit du potentiel considérable et de l’exploitation des ressources minières, énergétiques, etc. Cette situation s’explique tout simplement par le faible contenu local des différents projets, ce qui se traduit par une faible participation des acteurs locaux et une utilisation insuffisante des ressources locales dans la création de la valeur ajoutée. Le « contenu local » est donc promu, d’une part, pour rééquilibrer les richesses tirées de l’exploitation des ressources locales en faveur des États, avec l’objectif de faire émerger une main-d’œuvre qualifiée et de constituer un tissu de sous-traitance.

Le contenu local représente véritablement le sens du terme « gagnant-gagnant » pour le développement durable. Il s’agit de la portion locale obligatoire en rapport avec l’emploi ou les activités économiques. C’est la part à réserver à la préférence nationale dans le cadre d’une activité économique donnée. Sa finalité est de réduire la pauvreté, d’augmenter les connaissances et le niveau de vie locaux, de développer une industrie locale, de réduire les inégalités et d’assurer un meilleur partage des retombées économiques.

En quoi cela sera-t-il bénéfique pour le secteur de la sous-traitance ?

La BSTP a pour mission, entre autres, la promotion et le développement de la sous-traitance. Le développement de ce secteur est inévitablement lié à la prise en compte effective de la préférence nationale. Par exemple, si la part réservée aux entreprises locales de sous-traitance dans le cadre de tout projet, des grands travaux ou de tout investissement se situe à 50 ou 60 %, et que cela devient contraignant par le biais d’une loi, alors, quel que soit l’entreprise chinoise, française ou canadienne qui exécute un marché au Cameroun, l’économie camerounaise, à travers ses PME/PMI, recevra une valeur ajoutée équivalente à ce pourcentage. Pour un marché d’un milliard, cela représenterait 500 à 600 millions qui seraient redistribués au niveau local, avec des impôts payés qui contribueront au développement du pays.

Propos recueillis par H. T.

 

 

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