Conventions fiscales: Quel impact pour le Cameroun ?

Le 2 mai 2025, le président de la République a signé deux décrets portant ratification de conventions fiscales entre le Cameroun et la République Tchèque d’une part, et la République Populaire de Chine d’autre part.  

Ces accords, d’après le décret présidentiel, visent à éviter la double imposition et à prévenir l’évasion fiscale en matière d’impôts sur le revenu. Respectivement signés le 7 février 2023 à Yaoundé et le 17 octobre 2023 à Beijing, ils suscitent des interrogations sur les bénéfices concrets que ces conventions peuvent apporter au Cameroun et à ses citoyens. En effet, la double imposition et l’évasion fiscale représentent des défis économiques majeurs pour de nombreux pays, et ces accords visent à simplifier et harmoniser les relations fiscales internationales.

Cependant, au-delà de l’intention « apparente » de renforcer les liens économiques du Cameroun avec ces deux nations, une question centrale demeure : que gagnent réellement les Camerounais de ces conventions fiscales ? Sont-elles véritablement à même de favoriser l’investissement extérieur, de réduire les risques d’évasion fiscale, et de promouvoir une gestion plus efficace des recettes fiscales ? Dans cette analyse, le Dr. Louis-Marie Kakdeu, MPA, PhD & HDR, et deuxième Vice-président national du Social Democratic Front (SDF), propose une réflexion approfondie sur la pertinence de ces conventions pour l’économie camerounaise.

« Les décisions du gouvernement camerounais ne sont pas pro-camerounaises. Elles sont toujours néocoloniales »

Une convention fiscale, également appelée convention relative à la double imposition des revenus, est un accord bilatéral entre deux pays destiné à éviter qu’une personne ou une entreprise ne soit imposée deux fois pour le même revenu. Elle définit la résidence fiscale, c’est-à-dire le lieu d’imposition des individus ou des entreprises travaillant dans deux pays différents. En l’absence de telles conventions, certaines personnes ou entreprises peuvent se retrouver à payer des impôts sur les mêmes revenus dans les deux pays concernés. Ces conventions jouent un rôle crucial, en particulier pour les individus disposant d’une double citoyenneté, celle de leur pays de résidence et celle de leur pays d’origine.

Pour analyser l’opportunité des décrets présidentiels, il est essentiel de comprendre la notion de résidence fiscale. Dans la pratique, un résident fiscal est une personne physique (particulier domicilié dans un pays) ou morale (société immatriculée dans un pays) dont le domicile principal est situé dans ce pays. L’administration fiscale se base souvent sur des critères tels que la disposition d’un foyer principal et un centre d’intérêt économique dans le pays pour imposer les individus ou entreprises. En règle générale, si vous résidez dans un pays pendant plus d’une année fiscale, vous êtes tenu de déclarer vos revenus dans ce pays. Cependant, il existe un risque d’être également imposé dans le pays de votre nationalité.

Au-delà de la mesure de justice pour les personnes disposant d’une double citoyenneté, ces conventions peuvent présenter des avantages indirects sur la réduction du coût de la vie. En effet, les entreprises doublement taxées produisent souvent à des prix plus élevés, ce qui se répercute sur le consommateur final. La suppression de la double taxation pourrait, en théorie, conduire à une baisse des prix sur le marché. Cependant, cette réduction dépend largement de l’efficacité des gouvernements dans leur régulation des marchés. Dans un pays comme le Cameroun, marqué par des problèmes de corruption et de gestion inefficace, il est légitime de se demander si ces mesures auront un impact réel sur le coût de la vie des Camerounais.

Pour évaluer la pertinence de ces décrets pour le Cameroun, il est nécessaire de recourir au principe de proportionnalité. Ce principe stipule que ces conventions fiscales ne doivent être appliquées que dans des cas où la masse critique est suffisamment importante pour influencer véritablement le coût de la vie dans le pays. Dans le cas de la Chine, cet accord est justifié par l’ampleur des investissements directs et des échanges commerciaux entre les deux pays. En revanche, l’accord avec la République Tchèque semble plus difficile à justifier. Le Cameroun n’a pratiquement aucune exportation vers ce pays et y importe uniquement des produits tels que le lait et la viande de poulet. De plus, la République Tchèque semble servir de point de chute pour des fonds en provenance du Cameroun, alors que la balance commerciale avec ce pays est largement déficitaire (234,5 millions de FCFA en 2022).

Une convention fiscale devrait être équilibrée et équitable pour les deux pays. Lorsqu’elle ne l’est pas, elle se transforme en un accord à sens unique, au bénéfice d’un seul pays. Par exemple, bien que le Cameroun compte plusieurs dizaines de milliers de Chinois sur son sol, le nombre de Camerounais en Chine est très faible, estimé à environ 300, principalement des étudiants. Cela suggère que ces accords peuvent être déséquilibrés. De plus, d’autres conventions fiscales déjà signées par le Cameroun, comme celles avec la France, la Tunisie, ou le Canada, tendent à être également à sens unique. Le bénéfice pour les Camerounais dans ce contexte demeure marginal. Pour qu’une telle convention soit réellement avantageuse pour le Cameroun, elle aurait dû concerner prioritairement des pays voisins comme le Nigéria, avec qui le Cameroun entretient des relations commerciales beaucoup plus importantes (166,1 milliards de FCFA en 2022). En l’état, ces accords confirment la politique économique extravertie du Cameroun, qui semble toujours perdre dans ses relations internationales.

Les décisions du gouvernement camerounais, à travers ces décrets, soulignent une fois de plus une politique qui ne semble pas servir les intérêts des Camerounais. Loin de renforcer la souveraineté du pays, ces accords apparaissent comme un prolongement des pratiques néocoloniales, éloignant le Cameroun de ses véritables objectifs économiques. Le Président Paul Biya semble prendre des mesures qui ne respectent ni les principes de la proportionnalité ni ceux de la souveraineté, essentielles pour protéger les intérêts de notre pays et de ses citoyens. C’est cette logique qui fonde l’opposition à la politique du Renouveau et justifie l’appel à un changement radical en octobre prochain.

 

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