Climat des affaires : Le Gecam passe en revue les principaux défis et contraintes

Le 18 septembre 2024, au cours de la rentrée économique du Patronat, le Groupement des entreprises du Cameroun (Gecam) a posé un regard « critique » et « constructif » sur les évolutions et les enjeux de l’économie du pays. Ainsi, il a passé en revue les principaux défis et contraintes pour la mise en place d’un environnement propice et plus compétitif aux affaires. Explications…
Réformes fiscales : Avancées appréciables, mais défis à surmonter
Le Gecam est formel. Ces dernières années, les réformes fiscales entreprises par les autorités ont apporté des améliorations notables. La dématérialisation des déclarations fiscales et des procédures administratives a simplifié la gestion pour les entreprises. La réduction des taux de l’Impôt sur les Sociétés (IS) pour les petites et moyennes entreprises (PME) et l’instauration d’un comité qualité à la Direction Générale des Impôts visent à rendre les contrôles plus équitables.
Cependant, déplore le Patronat, des disparités persistent, le système étant perçu comme injuste pour les entreprises du secteur formel, avec des taux d’imposition effectifs atteignant jusqu’à 80 %. Les jeunes entreprises, souvent en perte, doivent faire face à des obligations fiscales lourdes. De plus, des contrôles fréquents entraînent des redressements souvent exorbitants.
La loi de finances 2024 a introduit de nouvelles taxes parafiscales, aggravant la pression sur tous les secteurs. « La récente taxe sur le dépotage des conteneurs à Douala a suscité des critiques pour son caractère jugé arbitraire. Face à ces enjeux, une réévaluation des méthodes fiscales s’avère nécessaire », propose Célestin Tawamba. Bien plus, pour ce qui concerne la prochaine Loi des Finances, le patron des patrons émet le vœu d’une Loi de Finances 2025, de relance économique marquée notamment par : une pause fiscale, des mesures d’élargissement de l’assiette fiscal qui n’impacteront pas les entreprises déjà fortement taxées.
Incitations aux investissements : La nécessité d’une refonte de la loi
Depuis l’introduction de nouvelles politiques publiques en avril 2013, le cadre des incitations à l’investissement au Cameroun montre des signes d’inadaptation, dénonce le Gecam. En indiquant que les récentes réformes révèlent des lacunes dans les critères d’éligibilité, souvent flous dans la législation. Ainsi, l’arrêté du 19 novembre 2013 a élargi ces critères de manière illégale, créant un climat d’arbitraire et d’inégalité dans le traitement des demandes.
« Un enjeu majeur est l’oubli des zones enclavées, freinant un développement régional équilibré, en contradiction avec la décentralisation. De plus, la liste des investissements prioritaires est jugée trop étendue, déphasée par rapport aux axes de développement fixés par les politiques publiques », décrie Celestin Tawamba. Qui fait savoir que les périodes d’installation, de cinq à sept ans, et d’exploitation, pouvant atteindre dix ans, semblent souvent injustifiées, ouvrant la voie à des abus. « Les incitations fiscales et douanières, trop larges, entraînent des pertes de recettes significatives pour l’État, tandis que les entreprises existantes doivent compenser ces manques ».
Avec 198 milliards de FCFA d’incitations pour une richesse créée de seulement 41 milliards, l’efficacité de ces mesures est remise en question. La distorsion de concurrence, favorisant les nouvelles entreprises, aggrave la situation économique, entraînant défaillances et pertes d’emplois. Face à cette crise, une révision urgente des incitations est nécessaire, incluant une suspension temporaire des agréments dans les secteurs saturés, pour repenser ce cadre légal et relever les défis actuels.
Energie électrique : Les entreprises continuent de broyer du noir
Depuis le 10 mai, avec l’injection de 60 Méga Watts du barrage de Nachtigal, la capacité installée d’électricité au Cameroun s’élève à environ 1 700 MW, dont plus de 70 % proviennent de l’hydroélectricité et du solaire. Toutefois, ce chiffre demeure bien inférieur aux 3 000 MW visés dans les politiques publiques, laissant le pays avec un déficit énergétique notable.
Actuellement, plus de 40 % de la population n’a toujours pas accès à l’électricité, tandis que le secteur industriel présente un besoin non satisfait de près de 400 MW. Les initiatives récentes, telles que la mise en service de l’usine au pied du barrage de Lom-Pangar et le développement progressif du barrage de Nachtigal, qui devrait atteindre 420 MW, représentent des avancées positives.
Cependant, de l’avis du Gecam, pour répondre efficacement aux défis énergétiques, des investissements urgents sont nécessaires, notamment dans les infrastructures de transport de l’énergie, souvent vétustes. Le règlement de la dette de l’État envers Eneo est également crucial pour rétablir l’équilibre du système électrique. Il est donc impératif de poursuivre ces efforts et d’intensifier les investissements pour garantir un accès universel à l’électricité et soutenir le développement industriel du pays.
État des routes : Un défi majeur pour le développement
Au 31 décembre 2023, le Cameroun ne compte que 10 225 km de routes bitumées sur un total de 121 873 km, soit à peine 9 % du réseau routier national. Cette situation soulève des inquiétudes quant à l’entretien des infrastructures existantes, un enjeu crucial au-delà de la simple construction de nouvelles routes.
Récemment, le ministre des Travaux publics a été alerté sur l’état désastreux des routes nationales n°3 et n°5, un problème qui touche l’ensemble du réseau, y compris la nationale n°1, qui assure la liaison avec le Tchad, la RCA et le Nigéria. La dégradation de ces axes provoque des ralentissements majeurs, entraînant des immobilisations de véhicules pouvant durer plusieurs jours, ce qui impacte les délais de livraison.
Cette situation a des conséquences directes sur l’approvisionnement des ports et des grandes villes, exacerbant les tensions inflationnistes. Les TPE et PME, notamment dans les régions septentrionales déjà vulnérables, subissent de plein fouet cette crise. Pour ces zones, l’avion reste le seul moyen de transport sécurisé, mais à des coûts prohibitifs, rendant les déplacements inaccessibles pour beaucoup.
Il est urgent, dit le président du Gecam, que le gouvernement prenne conscience de la nécessité d’un financement accru du réseau routier, notamment par des partenariats public-privé. « Une réévaluation du système de péage routier, enrichi par des stations automatiques, est également cruciale. Une action rapide et décisive s’impose pour remédier à cette crise infrastructurelle ».
Transformation numérique : Des entreprises camerounaises à l’épreuve…
Malgré une prise de conscience croissante de l’importance de la transformation numérique, les entreprises camerounaises font face à d’importants obstacles. L’insuffisance des offres des opérateurs de communications électroniques entraîne une qualité d’accès à Internet, tant fixe que mobile, médiocre, touchant principalement les zones urbaines et industrielles.
Cette situation, précise le Patronat, génère des problèmes significatifs, comme l’obligation d’utiliser plusieurs numéros mobiles pour des besoins professionnels, ce qui augmente le risque d’usurpation d’identité et compromet la réputation des entreprises. De plus, la dépendance à des applications de messagerie comme WhatsApp pour la collaboration professionnelle illustre l’absence d’outils adaptés aux exigences d’un environnement de travail moderne.
Le Gecam regrette que 25 ans après l’ouverture du marché de la téléphonie à la concurrence, la téléphonie fixe d’entreprise, autrefois dominée par Camtel, est en déclin, tandis que d’autres pays adoptent des solutions de communication unifiée, offrant ainsi des opportunités pour les opérateurs privés locaux.
Il est essentiel, pense le Groupement, que les pouvoirs publics engagent une réforme significative de la politique numérique pour favoriser une digitalisation efficace des services. Cela implique de mettre à jour les lois sur les technologies de l’information et de la communication (TIC) et d’instaurer une régulation efficace pour soutenir le développement des entreprises dans ce secteur. « À l’ère de l’intelligence artificielle, le Cameroun doit se réinventer pour réussir sa transformation numérique et ne pas manquer ce tournant crucial ».
Migration des travailleurs camerounais vers le Canada : Une préoccupation croissante
Entre janvier et avril 2024, près de 6 000 Camerounais ont émigré vers le Canada, portant à plusieurs centaines de milliers le nombre de compatriotes expatriés au cours des deux dernières décennies. Le Cameroun se classe désormais comme le deuxième fournisseur de main-d’œuvre au Canada, juste derrière la France, une situation qui inquiète le Patronat camerounais face à cette fuite massive de travailleurs qualifiés.
Cette tendance, exacerbée par les crises politiques et économiques persistantes, a de lourdes conséquences sur l’économie nationale et le marché du travail. Le départ de professionnels formés, souvent à la charge de leur entreprise, entraîne une perte de compétences précieuses, affectant la compétitivité des entreprises. Selon le Gecam, tous les secteurs d’activité ressentent l’impact de ce phénomène.
« Les entreprises doivent parfois gérer un vide difficile à combler tout en supportant les dettes contractées par les travailleurs démissionnaires. De plus, les emprunts en cours compliquent l’accès au crédit pour les autres employés, limitant ainsi les capacités d’investissement ». Cette situation, d’après le Patronat, compromet non seulement le marché du travail, mais aussi la croissance économique du pays, réduisant le nombre de professionnels disponibles pour répondre aux besoins croissants des différents secteurs.
Conscients de la gravité de la situation, le Groupement a adressé un courrier au ministre des Relations Extérieures, sollicitant une réunion de concertation. « Cette rencontre vise à explorer les causes profondes de cette migration et à discuter des mesures potentielles pour atténuer ses effets, tout en développant des stratégies adaptées à cette problématique croissante ».
Accès au titre foncier : Un processus en crise
L’accès au titre foncier au Cameroun est entravé par des textes réglementaires obsolètes, datant de près de 50 ans, décrie le président du Gecam, Célestin Tawamba. Les procédures d’obtention d’un titre sont longues, coûteuses et peu sécurisées. « Pour un titre obtenu par immatriculation directe, le délai est d’au moins six mois, tandis qu’une concession peut prendre jusqu’à cinq ans. Souvent, ces démarches échouent ou se retrouvent devant les tribunaux ». Selon le Minjustice, plus de 85 % des litiges judiciaires concernent des questions foncières.
Pour Célestin Tawamba, les coûts élevés et la complexité des procédures rendent l’accès difficile pour les populations rurales. « La sécurité juridique est également menacée par la circulation de faux titres fonciers : en 2021, plus de 9 000 documents frauduleux ont été recensés, entraînant des cas de double ou triple immatriculation pour une même parcelle ». De plus, dit-il, les annulations de titres par le Mindcaf, touchant particuliers et entreprises, exacerbent l’insécurité juridique et dissuadent les investissements étrangers.
Il insiste sur le fait que le titre foncier, essentiel pour la sécurisation immobilière et comme garantie auprès des institutions financières, doit être protégé. Ainsi, pour améliorer l’accès au titre foncier et faciliter le financement des entreprises, une réforme est indispensable. « L’informatisation du cadastre et la numérisation des titres fonciers doivent être accélérées. Parallèlement, l’État doit instaurer des mesures conservatoires pour atténuer les effets négatifs de l’insécurisation actuelle. Une réforme efficace pourrait renforcer la compétitivité des entreprises et favoriser un environnement d’investissement plus sain ».
Marchés publics : Inquiétudes autour d’une nouvelle Circulaire
Le ministre des Marchés publics a récemment publié une Circulaire concernant la gestion des cautionnements dans les marchés publics, suscitant de vives inquiétudes. Cette directive impose un cautionnement en numéraire de 100 % auprès de la Caisse de dépôts et consignations (Cdec), ce qui pourrait compliquer le processus de passation des marchés et le rendre moins accessible, notamment pour les PME locales déjà confrontées à des difficultés de financement.
Selon les explications de Célestin Tawamba, l’exigence d’un récépissé attestant chaque cautionnement comme élément constitutif du dossier de soumission pourrait alourdir encore davantage les démarches administratives. « De plus, les modalités de restitution et de déconsignation manquent de précisions sur les délais à respecter, risquant d’aggraver la situation des entreprises ».
Aussi, il attribue le faible taux d’exécution des marchés publics au Cameroun à l’incapacité financière des entreprises et aux retards de paiement des décomptes par l’État. « L’introduction de la Cdec, bien que destinée à renforcer la sécurité financière, pourrait paradoxalement compliquer le système ». Dans ce contexte, supplie-t-il, la suspension de cette circulaire est jugée nécessaire pour engager une réflexion collective avec toutes les parties prenantes et trouver des solutions équilibrées. Par ailleurs, le manque de réactivité des pouvoirs publics contribue à l’immobilisme, les mesures étant souvent tardives et peu adaptées aux défis urgents du secteur.
Le Patronat appelle à des mesures urgentes pour redynamiser le marché public et créer un environnement propice au développement économique. « Un véritable électrochoc gouvernemental est essentiel pour revitaliser la cohésion et accélérer les décisions ».
Hélène Tientcheu