Centrale hydroélectrique de Songloulou : La puissance d’hier, le pari risqué d’aujourd’hui

Présentée à la presse le 8 mai 2025 par Eneo, Songloulou affiche une puissance intacte. Mais les fissures sont ailleurs : dans la stratégie énergétique nationale.
Avec ses 384 mégawatts (MW) de puissance installée et un taux d’utilisation proche de 90 %, la centrale hydroélectrique de Songloulou reste en 2025 le principal producteur du Réseau Interconnecté Sud (RIS). Malgré l’ascension rapide de Nachtigal, qui atteint déjà 31 % de la production, Songloulou conserve la tête avec 35 % d’énergie injectée entre janvier et avril. Une performance en apparence rassurante, mais qui traduit une dépendance persistante à une infrastructure vieillissante des années 1980.
La visite du site le 08 mai dernier, organisée par Eneo, l’entreprise en charge de la distribution de l’électricité au Cameroun, visait à valoriser la stabilité retrouvée du barrage. Mais derrière les chiffres et la communication technique, une réalité plus préoccupante s’impose : cette centrale vit sous perfusion. Et son avenir repose sur des interventions de plus en plus lourdes. Depuis les années 1980, Songloulou est affectée par une pathologie redoutée : la Réaction Alcali-Granulat (RAG), qui déforme le béton, fissure les structures et gêne le bon fonctionnement mécanique des équipements. Si cette maladie n’est pas unique à Songloulou, elle impose ici une stratégie de réhabilitation permanente, coûteuse et complexe.
Le programme Dam Safety, lancé pour sécuriser l’ouvrage, a déjà mobilisé plus de 11 milliards de FCFA depuis 2015, selon la direction d’Eneo. Et ce n’est qu’un début : une seconde phase est déjà engagée, avec plus de 60 milliards de FCFA d’investissements prévus pour prolonger la durée de vie de la centrale d’au moins 30 ans. Sciage de plots, pose de capteurs, imperméabilisation, renforcement des structures… Le chantier est massif. Et révélateur d’un choix stratégique discutable : maintenir à flot un géant fatigué, plutôt que repenser le modèle énergétique.
La stabilité affichée masque donc une fragilité profonde
Alors que la demande électrique du pays croît de 7 % par an, la fiabilité de Songloulou est de plus en plus compromise par la disponibilité de l’eau. En 2025, la Sanaga a connu un étiage sévère, aggravé par un déficit de remplissage de 2 milliards de m³ dans les réservoirs en amont. Lom Pangar, Bamendji, Mape, Mbakaou : ces barrages-réservoirs sont essentiels pour réguler le débit et alimenter Songloulou et Edea, même en saison sèche. L’étiage sévère du fleuve a contraint les centrales à tourner au ralenti.
« Le défi hydrologique observé depuis le début de l’année est lié au faible niveau de remplissage des barrages de retenue en amont, notamment Bamendji et les autres réservoirs, qui n’ont pas accumulé suffisamment d’eau pour garantir un débit régularisé de 1 100 m³/s. Actuellement, ce débit est tombé à environ 800 m³/s, un niveau insuffisant pour assurer la pleine capacité de production en continu », a expliqué Maxim Kath, directeur de l’usine.
La stabilité affichée masque donc une fragilité profonde. Sans une bonne saison des pluies, sans débit suffisant, sans groupes en parfait état, Songloulou ne tient pas son rang. Et avec elle, c’est tout le système électrique du sud qui vacille. L’entrée en service de la centrale de Nachtigal (420 MW) aurait pu marquer un tournant. Mais l’interconnexion avec Songloulou et Edea reste partielle, la complémentarité encore limitée. Les investissements dans le solaire, l’éolien ou les alternatives de stockage sont, pour l’instant, marginaux.
Pendant ce temps, le pays continue d’injecter des milliards dans une centrale dont la survie dépend d’interventions permanentes et de conditions climatiques incertaines. Pour plusieurs observateurs, ce choix de prolongation, plutôt qu’un véritable renouveau du mix énergétique, témoigne d’un manque de vision à long terme. « Songloulou ne peut pas tout porter. Pourtant, la majorité des efforts publics et privés restent focalisés sur sa seule survie », regrette l’un d’eux.
Hélène Tientcheu